Alors elle parle d’elle, Tifa, après que Bolga ait fait la même chose, quelques secondes plus tôt. Elle ne réagit pas beaucoup à ce qu’elle dit — avec tous les mondes, c’est peut-être plus normal de ne pas trop réagir. Elle n’en sait rien. Elle a beaucoup à apprendre. Alors elle écoute — son nom est aussi joli qu’elle, et elle aurait presque ri — Lockhart — de la signification que celui-ci peut donner. Elle se dit propriétaire de son bar depuis deux ans, qu’elle aime ça — et c’est bien. Bien, même si elle doit travailler moins, elle l’a dit elle-même.

Elle s’amuse à caresser doucement ses doigts avec les siens, de petits mouvements à peine perceptibles — et elle la voit rougir, et ça la fait rougir à son tour.

Son bar l’a menée ici. Et elle sourit, en le disant. Et ça l’attendrit, elle et son cœur cybernétique, qui se met à battre un peu plus rapidement. Elle prend une gorgée de sa bière au moment où Tifa entame son deuxième verre de gin, tout en cherchant son regard timide, qui, lui, l’évite presque systématiquement.

Et voilà qu’elle lui demande si elle est libre. Libre ?

Le mot a plusieurs sens, mais, en ce moment, le seul qu’elle voit, c’est…

Alors elle ouvre doucement la bouche et inspire, son regard lâchant finalement celui de Tifa pour une fraction de seconde alors qu’elle regarde leurs mains entremêlées.

« Libre ? Enfin, ça dépend — ça dépend de toi. »

Et elle relève les yeux vers Tifa. Elle aurait fait un clin d’œil si elle s’était sentie un peu plus confiante dans cette situation, mais elle ne l’est pas, pas totalement — c’est l’anxiété qui prime, qui l’habite, en petites palpitations qui grouillent dans son estomac. Alors elle tente de ne pas perdre la tête, de rester sereine, d’afficher le même sourire qu’elle affiche d’habitude, de ne pas perdre le contrôle.

Mais l’anticipation est totalement étrange et sensationnelle, et laisse présumer tant de scénarios, tant d’émotions renouvelées…

Renouvelées.

Car elle a le sentiment que ce n’est pas la première fois.

Et que c’est son visage qui l’amène à penser ainsi.

Son visage et sa main contre la sienne ; une présence évanouie qui se matérialise.

Pourquoi ?

Tifa mentirait si elle disait que le frottement de leurs doigts, ensemble, était désagréable. Cette nouvelle émotion qu’elle ressentait en elle était… Vraiment étrange. Électrisant, mais réchauffant en même temps. À la fois intense, mais relaxant. Et lorsqu’elle lui avait posé sa question, son cœur avait sauté un battement. Pourquoi ? Est-ce qu’elle espérait qu’elle lui réponde que oui, elle voulait bien aller plus loin qu’un baiser ? Ou bien espérait-elle que ce ne soit que ça ? Tifa n’arrivait même pas à comprendre ses propres émotions. Tout ce qu’elle savait, c’était que… Sa réponse lui fit l’effet d’un choc électrique dans l’échine.

Ça dépend de toi. Cette phrase se répéta cinq, dix, vingt, trente fois dans sa tête. Très honnêtement, qu’est-ce qu’elle avait à perdre ?..... L’image de Cloud lui revint dans la tête. Elle n’avait jamais admis ses sentiments pour le jeune homme, mais ils étaient bel et bien présents. Et elle se sentait comme si elle le trahissait, alors que… Alors qu’il la regardait à peine. Pas plus qu’une amie, en fait. Ou bien si ça avait été le cas, il était très mauvais à faire part de ses émotions…

Tu la connais à peine, Tifa. Tu devrais prendre ton temps, tu devrais prendre quelque jours pour y penser, ce n’est pas comme toi d’être aussi impulsive et--

« Eh bien… J’ose imaginer que tu ne l’es plus. »

Elle la fixe droit dans les yeux en lui disant ça, en prenant cette décision sur un coup de tête. Elle avait eu envie d’être folle, ce soir, de faire des conneries ? Eh bien quelle meilleure folie que de s’engager dans une relation après une seule date ? Et elle prend sa main dans la sienne, avec un petit sourire gêné, la rapprochant de ses lèvres alors qu’elle y dépose un doux baiser sur celle-ci. Tifa fit un petit rire, timide, suivant cette preuve d’affection, ses joues rougissant encore une fois. Elle n’a aucune idée pourquoi, mais elle est heureuse. Heureuse de cette décision impulsive. Heureuse de… De vivre. De ne pas s’empêcher pour rien.

Peut-être que Bolga était justement ce qu’il lui fallait pour se sortir de son cercle vicieux.

…Alors ça y’est, ils étaient officiellement en couple, toutes les deux ? Est-ce qu’il fallait qu’il se passe quelque chose ? Elles s’étaient déjà embrassées, deux fois, il fallait dire…. Eum…

« Alors je eum… N’ai jamais vraiment… Eu… de… Euh… »

Tifa ne savait même pas comment aborder le sujet, honnêtement. Est-ce que c’était gênant, pour une fille de 22 ans, de n’avoir jamais été en couple ? Encore moins… Bon, Bolga allait devoir l’aider un peu dans tout ça, si ça allait fonctionner entre elles.

Et elle la regarde, Tifa, mais, au fond, elle ne la regarde pas vraiment. Dans sa tête, tout roule, tout tourne, et rien ne va plus. C’est ce sentiment qui l’habite, un sentiment qui lui dit que c’est trop beau pour être vrai.

Mais pourquoi?

Et pourquoi, au fond d’elle, c’est une pression qui noue sa gorge?

La voix de son interlocutrice la sort de son esprit et elle se focalise de nouveau sur celle-ci. Elle lui a répondu – et sa réponse est positive. Bolga, elle, reste un moment figée par la surprise, alors que Tifa prend sa main dans la sienne, y déposant un baiser.

Elle ouvre doucement la bouche, avant de la refermer. Elle cligne des yeux, puis, tout doucement, son sourire s’étire. Et elle couvre la main de Tifa, celle qui tenait la sienne, de son autre main, laissant son sourire planer.

Le regard de Tifa change et elle balbutie, ne sachant pas trop quoi dire, voire quoi faire, et Bolga tapote doucement sa main, son sourire d’une joie pure se faisant plus attendri.

« Ne t’inquiète pas. Rien ne presse; on ira à ton rythme. »

Un doux tapotement sur ses mains semble calmer la belle brune anxieuse qui avait, une seconde plus tôt, le regard agité. Ses yeux bourgognes se figent sur les siens, un peu surprise par ce simple mouvement qui avait complètement vidé sa tête de toutes pensées intrusives… Pour le moment, en tout cas.

Le sourire de Bolga est tellement mignon… Tifa ne peut s’empêcher de réciproquer, quoiqu’un peu plus gênée. Son cœur bat plus vite, oui, mais ça fait du bien. Il y a une chimie entre elles, quelque chose qui les connecte. Elle pouvait bien le sentir. Cette sensation dans son bas-ventre était toujours présente, par contre…

« Oui tu… Tu as raison, pardon. »

Aller à son rythme. Oui, c’était une bonne idée. Tifa ignorait si Bolga était une professionnelle dans ce domaine, mais ce qui était certain, c’était que la barmaid semblait beaucoup plus nerveuse de cette nouvelle relation que la rouquine. Elle avait peur de faire une TRÈS grosse connerie, mais en même temps, au fond d’elle… Tifa se disait que ça lui ferait beaucoup de bien. Et si ça ne fonctionnait pas, alors, tant pis, elles auraient essayé, non ?... Non ?

De sa main libre, la jeune femme tasse une mèche de cheveux derrière son oreille en regardant autour. Encore beaucoup de gens dans le bar. Beaucoup de diversité. C’était un bel endroit, mais… Elle avait envie d’être seule, avec Bolga. Un endroit ou elles pourraient plus discuter en privé, ou elle pourrait l’embrasser comme elle brulait d’envie de le faire en ce moment, sans avoir peur que quelqu’un les regarde. Plus intime…

Elle tourne la tête vers elle, mordillant sa lèvre inférieure alors qu’elle pense à comment lui demander ça. Est-ce que ça semblerait trop direct ? Trop tôt ? Qu’est-ce qui est trop tôt ou trop tard ou pas assez trop… Non, Tifa, calme-toi. Allez fais juste… Lui demander. Go, dit lui, regarde comment elle te regarde. À la prochaine inspiration… La prochaine… GO.

« Hey, Bolga, voudrais-tu qu’on… Hm… Q-qu’on aille finir la soirée chez moi ? Qu’on puisse être plus seules o-ou… »

Oh non… Elle espérait qu’elle ne le prenne pas comme si… Comme si elle voulait que… Uh oh, Tifa, dit quelque chose, n’importe quoi. Ses joues rougissent légèrement.

« E-euh pas pour… J-je voulais pas dire pour ça.»

Comment s’embarrasser 101.

Bien sûr qu’elle a raison.

Elles viennent de se lancer dans le vide, toutes les deux, ensemble, et toutes deux n’ont aucune idée de ce qui les attend au sol, et si, même, elles ont un parachute. Elle ne se connaissent qu’à peine. Et pourtant elle se sent comme si elle l’avait toujours connu.

Ou est-ce quelqu’un d’autre?

Elle ne sait trop quoi penser, pourquoi ça fait mal, comme ça fait du bien. Ça se mélange dans son esprit depuis tout à l’heure, et ce n’est pas la bière. Elle n’est pas si forte. La réponse ne vient pas, son système va bien – sauf pour son cœur qui bat plus vite, mais c’est normal, dans ce genre de situations.

Qu’est-ce qu’elle oublie?

Et maintenant que sa main n’est plus vide, pourquoi se sent-elle comme si elle l’était toujours, d’une manière inusitée? Elle inspire, par le nez, laissant bouffer son torse et remplissant ses poumons – expirant doucement pour calmer qu’importe vient de s’emparer d’elle.

Tifa vient de lui demander si elle veut qu’elles repartent chez elle. Et elle lève le regard, toujours aussi attendrie, surtout lorsqu’elle tente de s’expliquer, laissant des sous-entendus tomber. Elle rit, un peu, Bolga.

« Ne t’inquiète pas. J’ai compris. On y va à ton rythme, ne l’oublie pas. »

De sa main libre, elle finit les quelques gorgées restantes sur sa bière, et essuie avec son pouce sa lèvre inférieure. Tifa est mignonne quand elle rougit. Et elle le fait souvent – un beau bonus.

Et, d’une seule main, la cyborg cherche son portefeuille dans sa poche, et l’ouvre, en sortant des billets de ce monde, qu’elle laisse sur la table. Assez pour payer toutes les consommations prises, avec un bon pourboire.

Elle se lève, remet son portefeuille dans sa poche, avant d’aider Tifa à se lever, elle aussi; et la mène en-dehors du bar, leurs doigts toujours entrecroisés. Ce n’est qu’à la sortie qu’elle délie doucement leurs doigts, prenant sa main dans la sienne et l’embrassant doucement, tout en réactivant le bracelet protecteur. Et elle lui sourit, avant de réactiver son armure dans une bouffée de lumière vive.

Et, de nouveau, elle lui tend la main.

« Prête ? »