Lumière aveuglante.

Ses pieds ne touchent plus le sol un moment alors qu’elle tient toujours dans sa main le cristal, qu’elle tient contre elle l’Arendellienne — qu’elles disparaissent toutes les deux avant de finalement émerger de l’autre côté. Elle sent le bout de ses orteils reprendre leur appui, son corps en entier s’alourdir, soudain.

Un liquide chaud s’échappe de ses narines alors que dans sa tête tout tourne, qu’elle se faiblit ; elle a senti ses forces se drainer d’elle alors qu’elles gagnaient le cristal — ce même cristal qu’elle lâche et qui s’effondre au sol après trois bonds aux bruits clairs.

Ses genoux fléchissent et Tekonwenaharake prend conscience de son corps qui chavire, et elle réalise bien trop tard qu’elle entraine dans sa chute la reine. Elle tente, d’un faible mouvement, d’atténuer l’impact en se mettant dos au sol, mais celui-ci arrive subitement — seul son bras amortit le corps d’Elsa avant qu’il ne touche le plancher.

Vive douleur à l’épaule. Tekonwenaharake étouffe un sifflement.

Si elle voit le bon côté des choses, elles s’en sont sorties relativement indemnes. Surtout elle. Au final, c’est ce qui comptait. La coureuse des bois se redresse et, de son bras toujours sous la reine, aide celle-ci à en faire de même, l’observant attentivement pour s’assurer qu’elle n’était pas blessée, replaçant sa chevelure, scrutant sa peau. Elle voit de la poussière, surtout de la poussière, mais rien d’alarmant. L’Amérindienne soupire.

▬ Désolée.

Courtes paroles murmurées. La chambre est affreusement silencieuse. Les derniers rayons de soleil donnent une allure austère aux bibliothèques, plus loin ; et le foyer éteint laisse la pièce dans une pénombre presque inquiétante.

▬ Tout va bien ?

Elle sait déjà la réponse – sent son corps faiblir, voit, toujours, contre sa peau, les effluves de ténèbres s’échapper. Elle doit faire quelque chose avant qu’il ne soit trop tard ; avant qu’elle ne cède complètement et qu’elle se perde à nouveau. Tekonwenaharake pose sa main libre sur l’épaule d’Elsa et cherche son regard.

▬ Nous devons les chasser, Kaniehtiio. Nous devons les chasser de ton corps avant qu’il ne soit trop tard.

Ses paroles fusent, si incertaines, mais elle peut sentir en ses mots une grande détresse se mêlant à cette énergie noire et féroce, profondément ancrée dans son cœur. La colère est une émotion dont il faut se méfier — et de la voir ainsi danser contre sa peau effraie la Shaman. Elle contemple un moment ses yeux de glace où la fureur du blizzard hurle — et sent les flammes noires lécher sa main. Elsa la brule ; mais elle chasse la douleur, implore les esprits de l’aider à vaincre les ténèbres.

Mais ces ténèbres ne sont rien en comparaison au givre qui habite maintenant la pièce — il se mêle à la brique du foyer, parcoure le sol et les murs, tombe en flocons mouvementés contre le plancher. D’imposants pics émergent des surfaces, de leur glace émanant une lueur inquiétante. Il fait affreusement froid, elle en a la chair de poule, mais elle n’en bronche qu’à peine.

Elle est prise, un moment, dans une transe insoutenable — une fascination devant une menace, une force de la nature, ses yeux rivés dans les siens.

Tekonwenaharake sursaute au moment où la main d’Elsa se pose sur la sienne, mais elle ne résiste pas — laisse la souveraine prendre à nouveau sa main dans les siennes, et émettre une douce pression. Étrange et douloureux frisson parcourant son échine — c’est encore et toujours cette force intenable qu’elle ressent, ces ténèbres qui languissent en elle et qui font écho — tentatrices ténèbres.

Il faut les retirer. Elle les voit resserrer leur emprise sur le cœur de la reine et elle doit en dégager les griffes. Comment ?

Tekonwenaharake éprouve grande fatigue s’emparant de son être en entier, sa propre faiblesse qui prend contrôle sur son corps soudainement frêle et froid. Elle sent le liquide contre ses lèvres, goute le fer — frissonne amèrement. Toute son énergie a servi à leur fuite. Mais elle doit persévérer.

Il n’y a pas de temps à perdre.

Elle pose délicatement sa main libre sur la nuque d’Elsa, collant son front contre le sien.

▬  Concen… Concentre-toi sur ma voix.

Elle inspire, longuement, et sent le souffle trembler en elle alors qu’elle le garde ; dire qu’elle a peur serait un euphémisme. Elle sent son être en entier s’agiter comme une feuille prise dans un vent violent au moment où ses paupières se ferment.

De ses lèvres s’échappent les paroles ancestrales des siens, au rythme d’une berceuse, un chant de guérison.

Tekonwenaharake tremble.

Elle tremble, mais sa voix reste stable, constante ; elle berce dans ses mots, cherche au plus profond de l’esprit de la Reine pour les serres s’éprenant de son cœur, transporte son âme dans sa voix.

Et si la peur la secouait alors, c’est le froid qui l’habite subitement, brutal comme la tempête qui fait rage dans la salle, autour d’elles comme en elles ; et elle se voit combattre cette haine fulgurante, ce lourd désespoir. Elle serre ses paupières, ressent un soudain choc lui coupant le souffle. La Shaman sent les bras d’Elsa contre elle, se laisse emporter par la pression de son corps contre le sien — alors qu’elle garde sa main contre sa nuque, la tenant près d’elle — rassurante.

Elle chante, demande l’aide aux Esprits afin qu’ils la guident vers la douleur et la colère de la souveraine. Et elle les trouve, là, accrochées en son sein — une furie horrible, glaciale. Elle fait écho dans les murs alors que le vent virevolte autour d’elles, souffle alors que les flocons happent leur figure, emmêlent leurs cheveux, frigorifient leurs doigts. Son esprit délie son cœur, enlève ce qui le tient en otage. Elle chante — implore toujours afin que les esprits l’aident.

Tout s’effondre alors — elle sent la neige retomber d’un seul coup, le froid qui s’était emparé d’elle doucement quitter son corps. La peur fuit, elle aussi, tout comme les ténèbres qui avaient alors habité la reine. Sa voix se stoppe, mais elle garde Elsa contre elle — glissant même sa main libre contre son dos afin de la stabiliser. Elle le sait — elle est faible.

Et bien qu’elle le soit elle-même, elle ne la laissera pas tomber. Elle sait — au plus profond d’elle, elle sait qu’elle a besoin de cette immuabilité.

Un léger frisson parcourt son échine alors qu’elle la remercie — son souffle contre son oreille, la douceur de sa voix — et Tekonwenaharake expire lentement, avec lassitude.

Elle la sait faible, oui, mais elle ne veut pas laisser paraitre qu’elle l’est, elle aussi. Elle lutte contre les soubresauts de son corps fatigué, contre les tambours cognant contre son crâne. Son nez saigne — elle goute encore le sang entre ses lèvres tremblantes, sent ses poumons qui brulent à chaque inspiration haletante.

Mais lorsqu’elle ouvre les yeux, qu’elle pose son regard sur elle, c’est un sourire léger qui parcoure ses lèvres, un rire qui n’aboutira jamais.

Elle ne répond que par un hochement de tête, lent, fatigué — avant de l’étreindre de plus belle, posant son menton sur son épaule.

▬  Tout… Tout va bien aller.