Le village était bien calme ces jours-ci, enfin, plus qu’il ne l’avait été ces derniers temps.

Sur son chemin, les gens penchaient la tête en avant, dans un signe de respect que Gaston prenait pour de l’évidente pitié. Il était clairement de mauvaise humeur, mais tout le monde comprenait et montrait l’échine à chacun de ses passages. Dans leurs yeux, Gaston y voyait son reflet : il était devenu petit avec un visage blafard, sans éclat. Le corps recouvert de bandages et son bras dominant pourvu d’un plâtre cachant tous ses muscles.

Sa convalescence ne se passait pas sans peine, car Gaston est un homme qui se repose peu et qui ne vit que par son boulot, qu’il ne pouvait plus exercer depuis qu’une sombre connasse l’avait projeté à travers les murs de sa taverne (encore en réparation).

Au diable la galanterie, il s’était juré que s’il la revoyait dans les parages, il l’abattrait d’un coup de feu comme un vulgaire lapin. Et c’est ce qu’il s’était répété depuis qu’il avait repris conscience et constaté les dégâts. Discours d’un homme qui décuvait sa colère, à la manière d’un chien qu’on venait de castrer.

Quelques semaines étaient passées depuis l’incident et en attente que leur cher chasseur se rétablisse, les offres d’emploi s’affichaient sur les vitrines, autant pour aider à la taverne que pour amener le gibier. Offres d’emploi que Gaston ne voyait que d'un très mauvais œil, il lui arrivait d’ailleurs qu’il en arrache quelques-unes de rage avec l’aide de son autre main, encore mobile.

Pourtant, il devait entendre raison, même Lefou se tuait à le lui dire, dans l’état dans lequel il était, il ne servait à rien, il ne valait pas mieux qu’un estropié. Gaston avait beau juger d’un œil hautain chaque jeune homme qui se présentait à lui, pleines de bonnes volontés, il fallait bien qu’il en choisisse un pour que le village puisse continuer à tourner. « Et si une nouvelle vague de démons revenait Gaston ? », Gaston avait horreur de le penser, mais l’idiot avait bien raison.

Mine renfrognée, sourcils froncés, Gaston regardait par terre en essayant de se remémorer les derniers visages qui s’étaient proposés pour « aider », aucun ne l’avait particulièrement marqué, encore moins leur nom… Lefou, toujours à côté de lui, le rassurait : ce n’était qu’une aide pour quelques mois, personne n’allait prendre sa place, qui pourrait bien prendre la place de Gaston ? Rah… Gaston finit par acquiescer, mais c’était sans compter sur le dernier ballot qui le bouscula.

Les deux sursautèrent, l’un clairement plus affolé que l’autre, déjà prêt à tout balancer, surtout avec la douleur qui le lançait dans son bras droit.

« BON SANG DE-…Tu ne regardes pas devant toi, crétin ?! »

La « victime » releva la tête, les nerfs saillants, rouge de rage… Mais il se calma étrangement vite en voyant l’être fébrile à l’air androgyne devant lui… Clairement une lopette qui ne saurait même pas porter un fusil dans le bon sens.

Il était parfait.

« Présentes tes excuses TOUT-DE-SUITE. Je te rappelle en plus que si tu as eu ce poste, c’est grâce à Gaston ! »

Attends, il avait engagé ce gars ?... Ah oui, c’est vrai, le nouveau serveur de la taverne, hm hm. Comment s’appelait-il déjà ?

« …Du calme, du calme, Lefou. Clairement, nous étions tous les deux dans nos pensées. »

Il toussa légèrement et redressa sa tête, l’air digne, voulant retrouver la posture qu’il avait d’antan.

« Tu n’es pas à la taverne ? »

Putain, c’était comment déjà son nom, ça lui arrive jamais d’oublier d’habitude.

L’homme en rouge continua d’écouter le jeune d’une oreille attentive, suivant son regard quand il tourna la tête vers la taverne et continuant de le fixer alors qu’il essayait de justifier son absence. En vérité, Gaston se fichait bien que cette aide soit vraiment en pause ou non, il comptait bien rentabiliser jusqu’au bout ce contrat signé à la va-vite.

En plus d’être jeune, il possédait la bonne volonté des gens inexpérimentés. Cela serait que trop risqué pour Gaston de prendre quelqu’un de plus jeune que lui et qui pourrait vite le dépasser, facilement vu son état. Le fait que le « serveur » ne comptait pas rester ici éternellement, car il recherchait une quelconque amie, lui garantissait qu’il n’allait pas devenir un potentiel rival (rival de quoi ? Ne demandez pas à Gaston de conscientiser jusque-là.).
Un sourire avenant naissait sur les lèvres du chasseur et il finit par hocher positivement la tête quand le jeune exprima sa requête. Oui, bien-sûr qu’il l’aidera, bien-sûr qu’il allait lui rendre service, puis il partira quand son temps sera venu. Parfait.

« Marchons un peu, veux-tu ? »

Discrètement, il fit signe aussi à Lefou de les suivre, ce dernier était resté silencieux bien qu’étonné par le brusque changement d’attitude de Gaston. Il suivit cependant les deux individus, d’un air réservé. Pendant ce temps, Gaston se pencha un peu sur l’androgyne, d’une voix tranquille.

« Heureusement, le village a reçu pas mal de visites ces derniers temps. A quoi ressemblait ton amie ? Même si je ne l’ai pas croisé de mes propres yeux, je pourrais toujours demander autour de moi. »

De son bras indemne, il fit un geste en l’air, comme s’il s’agissait d’une affaire de quelques minutes.

« Je ne te cache pas qu’un garçon comme toi tombe bien ici, on a besoin de gens volontaire ! C’est vous qui faites la force du village ! »

Il tapota son épaule, gentiment, mais on devinait par ce simple geste anodin que malgré tous ses bandages, Gaston n’était pas si amoindri que ça.

« J’ai une idée, A… »

Il se mit à grimacer, touchant son front, l’air de justifier une brusque fatigue qui l’empêchait de trouver le nom exact de son interlocuteur… Il fit mine d’être en difficulté, jusqu’à ce que ce dernier l’aide finalement en se re-présentant.

« Akusei ! Oui, Akusei… Je crois qu’on peut s’entraider. Et si je te disais que je peux dès maintenant me libérer pour chercher les informations dont tu as besoin ? »

Son œil se mit alors à briller d’une étrange lueur.

« En échange, j’aimerai que tu ailles en forêt, avec Lefou… » Gaston fit mine d’ignorer l’air déconcerté de ce dernier qui allait réagir et que Gaston se contenta de couper en tendant la main. «...Et que t’ailles me chasser quelques volatiles, rien de compliqué tu verras, Lefou t’expliquera tout. »

Gaston tendit sa main libre vers lui.

« Marché conclu ? Evidemment, chacun va se donner le maximum, hm ? »